« L’éducation doit briser les schémas établis »

Lors d'une discussion, une amie me faisait part de ses doutes à propos de notre choix d'éducation… Elle trouvait l’idée de l’école à la maison géniale, elle aimerait bien le faire, MAIS… leur famille ne pouvait pas se le permettre… un salaire en moins… en plus même si l’idée lui plaisait, elle ne se voyait pas passer toutes ses journées avec ses enfants. Tous les jours ensemble…
Il y a là deux idées importantes qui reviennent souvent dans les discussions.

Je ne prétends pas avoir de réponses à ces questionnement justifiés, mais je peux parler de mon expérience et de mon ressenti actuel par rapport à ce choix d’instruction en famille, qui me semble aujourd’hui dépasser le simple cadre familial.

En ce qui concerne le temps passé avec mes enfants, j’en ai parlé dans ce billet. Ce n’est pas une chose qui m’a posé question ; pas une seule fois quand nous avons fait le choix de l’instruction en famille. Depuis la naissance des filles, j’avais décidé de passer le plus de temps possible avec elles. Aucune n’a connu garderie, crèche ou nounou. Je ne voulais pas que quelqu’un d’autre s’en occupe. Heureusement, avec leur papa, travaillant aussi à la maison, nous avons réussi à aménager nos temps de travail respectifs pour répondre à cette volonté d’être auprès de nos enfants. Aujourd’hui encore, c’est ce que je souhaite, tant qu’elles ont envie de rester avec nous.

La seconde l’idée sous-jacente est que l’école à la maison est élitiste, réservée aux privilégiés (entendons-là, aux seuls privilégiés pouvant se passer d’un salaire).
C’est certainement vrai, que l’instruction en famille est un merveilleux privilège, mais - s’il faut mettre les gens dans des cases - la majorité des familles que je connais ne font pas partie de la classe aisée. Elles font de grands efforts pour pouvoir répondre à cette envie de non-scolarisation. Je connais par ailleurs plusieurs mamans qui continuent leur travail à mi-temps. Je travaille aussi, même si j’ai la chance de pouvoir organiser librement mon temps de travail, ce qui simplifie la donne.

Je suis heureuse que notre famille puisse faire ce choix car nous nous sentons de cette manière acteurs du changement. C’est en agissant à notre niveau, là où nous pouvons le faire, que nous prenons part à l’évolution de la société et des mentalités. C’est aussi en en parlant autour de nous que nous oeuvrons dans la direction du changement.
Alors c’est peut-être un privilège, mais il me donne l’opportunité de participer à la construction d’un monde différent, alors je le prends.
Je fais le choix d’éduquer mes filles d’une manière unique et adaptée à leurs besoins, et tout ce qu’elles recevront pendant ces années les construira. Elles seront capables ensuite d’aller dans le monde et de partager ce qu’elles auront engrangé… partager, donner, répandre leurs idées, leur créativité, leur amour et leur curiosité pour le monde. Je n'ai pas de rêve plus beau.

Quand les filles ont décidé des faire des petits biscuits de Noël pour les offrir aux pauvres dans la rue, j’ai été intensément touchée. Nous donnons parfois une pièce à des mendiants ; ces sont les filles qui donnent. Et je peux voir dans les yeux de ces gens une réelle reconnaissance ! C’est un regard qui me dit merci d’enseigner la compassion et la charité à mes enfants.
C’est ça l’école à la maison, c’est ce dont je veux parler en disant que j’ai le sentiment de participer, à mon niveau, à rendre le monde meilleur en faisant ce choix-là !
Pour que des moment magiques comme ceux-ci arrivent il faut du temps. Il faut avoir ses enfants avec soi, pour trouver les bonnes opportunités de leur enseigner la compassion, la tolérance, l’amour, le partage… L’instruction en famille crée beaucoup d’espace et d’opportunités pour ces différents apprentissages de la vie. 

En nous engageant dans cette direction et en étant de plus en plus nombreux à le faire, nous ouvrons la voie pour d’autres. Nous prenons un chemin qui un jour ne sera plus en friche ni à contre-courant, plus facile à emprunter pour ceux qui ne peuvent pas se lancer aujourd’hui.
Je ne veux pas dire par là que l’instruction à la maison est la meilleure voie possible, je veux dire qu’elle participe au changement des mentalités et à l’ouverture vers d’autres chemins possibles.

Les groupes d’enfants non-scolarisés sont très divers. Il y a des enfants avec des besoins spéciaux ou des troubles, des énergies débordantes et créatives, des intérêts variés, des petits et des grands, il y a des adultes, parfois des grands-parents… cette différence enseigne aux enfants l’ouverture, la tolérance, encore une fois le partage et l’amour.
Quand je vois Liv très attentionnée avec ses amies, souhaitant toujours leur offrir des petits présents qu'elle réalise, fabriquant à la vitesse de l'éclair une jolie pochette surprise en forme de lapin pour Émy, pour qu'elle ait un petit cadeau à Pâques... je me dis que les graines que nous semons grandissent en elle.
Elle grandit ma si belle Liv, s'ouvrant et se réalisant, pétales après pétales, comme une fleur précieuse et raffinée, mais encore fragile...

Ce choix de vie est une richesse qui en amène beaucoup d’autres dans le foyer. Tout d’abord, on apprend à utiliser l’argent différemment, à moins dépenser et puis finalement, à consommer tout autrement. On apprend à ne pas avoir besoin de l’éducation standardisée, à penser et choisir pour nous-mêmes. On apprend à vouloir moins. À ne pas nous reposer sur le système. C’est un mode de vie différent qui s’ouvre devant nous. Un chemin nouveau, et pourquoi pas un nouveau système à créer.

Et avec internet c’est magique, on ne se sent pas seul engagés dans cette quête et notre voix compte ! Internet permet à n’importe qui de s’exprimer, d’être lu. C’est une des raisons pour lesquelles j’écris ici... pour faire voyager les idées.

Le choix de l’instruction en famille amène à repenser son mode de vie, à prendre des chemins de traverse, à explorer des possibilités dont on ignorait l’existence. Avec un salaire en moins (ou un demi-salaire, car certains parents continuent de travailler), il faut faire des choix, déterminer des priorités et se concentrer sur l’essentiel. C’est choisir un autre mode de pensée et de vie.
Et finalement, même si nous n’en avons pas réellement conscience au départ, en faisant ce choix nous disons non au système.
D’abord, qui a décidé de ce que nous devrions apprendre, et pourquoi ? Qui choisi nos leçons d’histoire et de géographie ? Qui a le droit de nous juger et de nous tester, de nous dire si nous sommes aptes ou inaptes à prendre notre place dans le monde ? L’école d’ailleurs prépare les différentes classes sociales au lieu de lever les barrières, comme elle prétend le faire. Un étudiant sorti d’une grande école de commerce s’assure un avenir que n’aura pas le possesseur d’un simple baccalauréat. Pourquoi ? Parce ce que l’école en a décidé ainsi.
Elle développe un modèle qui se réplique et se perpétue, qui forme des suiveurs, et qui cherche à construire des être humains ordinaires.

Mais aujourd’hui de plus en plus de personnes souhaitent s'éloigner de ce système préparé, fermé et formaté, et tentent de repenser le monde et ses schémas. La non-scolarisation sous toutes ces formes fait partie des nouvelles voies qui sont explorées. Peut-être ne l’aviez-vous pas vue sous cet angle ? Alors oui, cela peut sembler être un privilège, mais il faut oser essayer, pour ouvrir le chemin et entamer un changement. Ensuite les idées se répandent.

Dans le magnifique documentaire « Demain » de Cyril Dion et Mélanie Laurent, la question de l’éducation arrive à la fin. C’est sur elle que repose tout le reste !
C’est dommage que cette partie ne soit pas un peu plus développée et qu'ils n'aient pas exploré les différentes initiatives innovantes qui existent (... ils avaient déjà dit beaucoup sur d’autres sujets). Mais ça n’est pas anodin que l’éducation arrive à la fin, comme la base, le socle permettant au reste d’arriver. Leur documentaire est une quête et en suivant le fil il remonte à la source : l’éducation.
Il faut agir aujourd’hui pour changer l’éducation si on veut changer le monde. Ça ne veut pas forcément dire que nous devons tous éduquer nos enfants chez nous, mais plutôt revoir le modèle actuel. Tant d’initiatives fleurissent partout pour une éducation positive, en accord avec la nature de l’homme et le monde. Je pense aux différentes écoles à pédagogies actives, aux écoles démocratiques, aux moocs (on parle de Free Education) et au hackschooling (exemples et ).

Quand je vois mes filles heureuses, libres et actives, je pense au monde auquel elles vont prendre part et prennent déjà part. Nous ne savons pas ce qu’elles vont inventer, alors donnons leur des clés permettant d’ouvrir des portes, plutôt que des schémas figés.

J’ai plus que tout envie qu’elles apprennent à prendre soin des autres et du monde. Nous sommes tous responsables les uns des autres. Cette idée n’est pas évidente à comprendre et encore moins à mettre en pratique.
Nous cheminons, et je dois d’abord avancer moi-même avant de pouvoir transmettre. Mais déjà, je suis soulagée que mes filles n’évoluent pas dans un univers compétitif. La compétition peut supprimer la générosité, alors que la coopération peut être une expérience humaine importante, enrichissante et menant à une vision bienveillante de l’autre.
L’important pour moi maintenant est de faire ce qui me semble juste, même si ce n’est pas toujours la voie la plus facile. 
Toutes les idées que j'ai, que je développe ici, ne sont pas faciles à mettre en oeuvre mais c'est un objectif et nous cheminons tranquillement dans cette direction.

 

PS :
Le titre de mon billet est l’introduction d’un chapitre du livre Apprendre est l’essence de la vie de Krishnamurti. Livre que j’aime relire tant il est profond et puissant. C’est marrant parce que ce nom "Krishnamurti" je l’ai entendu plusieurs fois dans la bouche de ma mère quand j’étais petite. Dans mon imaginaire de petite fille, ce Krishnamurti, avec un nom comme ça, devait être une espère de divinité indienne, ou autre personnage de conte, qui se mélangeait dans ma tête avec une image de Krishna, enfant bleu, assis sur un cousin, jouant de la flûte...
Je ne lui ai jamais demandé qui il était en réalité. Et quand j’ai découvert ses idées et ses écrits à l’âge adulte, j’ai compris pourquoi j’en avais entendu parlé, et j’aurais aimé le "connaitre" plus tôt.
La vie est ainsi faite… fluide, organique et mouvante… si on se laisse guider par le flux et que l’on suit son énergie, les choses arrivent généralement au bon moment. Quand on est prêt, quand on en a besoin.

Ce livre que j'aime tant est un recueil de lettres écrite par Krishnamurti et adressées aux écoles qu’il a fondées.
Voici un extrait d’une de ces lettres, dont le titre est Travailler ensemble.
"La coopération est une nécessité absolue dans un monde à ce point écartelé entre convictions nationales et religieuses, disparités économiques, sur et sous-développement intellectuel. Une certaine forme de coopération existe dans les relations très proches - la famille par exemple - mais au-delà, persistent toujours les différences d’opinions, de tendances et de savoirs. L’ambition et la jalousie renforcent encore ces différences, ce qui fait évidement obstacle à la coopération
(…)
La coopération est indispensable, mais elle ne peut exister quand chaque individu est en compétition avec autrui et à la poursuite de son accomplissement personnel. Pour pouvoir coopérer il ne peut y avoir de notion d’individu, de famille ou d’accomplissement national, car cet accomplissement ne fait qu’accentuer les clivages, rendant impossible toute coopération.
(…)
Lorsque vous voyez tout cela, non comme un concept descriptif mais comme un danger pour le bien être global de l’humanité, cette perspective même suscite une action qui sera non agressive et donc coopérative. Voir, c’est aimer, et celui qui aime est en état de coopération. Et en comprenant ce qu’est la coopération, il verra aussi quand il convient de ne pas coopérer. 
Nous vivons depuis si longtemps sous le joug des schémas établis que notre existence s’est écoulée dans la tradition, et la liberté, l’amour, la coopération ont perdu leurs signification fondamentale. L’éducation doit briser ces schémas."