Les apprentissages auto-gérés
Je reviens ici après de longues pauses et des articles parsemés de-ci de-là... Non, ce blog n’est pas mort, il était juste juste endormi. Depuis juin j’ai démarré une nouvelle aventure sur mon chemin éducatif : j’ai intégré l’équipe francophone de l’école américaine Clonlara et cela occupe bien mon temps et mon esprit.
Fondée en 1967 par Pat Montgomery, Clonlara s’est inspirée de Summerhill pour créer son propre model, basé sur les apprentissages auto-gérés. Elle a, au fil des ans, essaimé et ouvert des programmes dans différents pays pour offrir à de plus en plus d’enfants la possibilité d’un tel apprentissage, reconnu et aboutissant à un diplôme.
Il y a bien sûr d’autres écoles du même type, mais qui n’offrent pas cet accompagnement à distance : Summerhill School, qui tient la route depuis sa création en 1921 par Alexander S.Neil, est une référence en la matière ; la Sudbury Valley School créé en 1968 par Daniel Greenberg n’est pas moins renomée ; le SML College de Brighton créé par Ian Cunningham, dont je viens de terminer le livre, m’a profondément inspirée. Dans ces écoles les enfants ont la liberté d’assister ou non aux cours. Ce qui veut dire que ceux qui sont là ont réellement envie d’apprendre et chacun d’eux a la possibilité de prendre le contrôle de ses apprentissages soutenu par les adultes accompagnants.
Je suis heureuse et enthousiaste de porter la vision que Clonlara défend depuis tant d’années, et qu’elle souhaite rendre accessible en dehors de la possibilité de rejoindre de telles écoles. Mon rôle de conseillère me permet d’agir de manière concrète auprès d’enfants en les accompagnant dans leur parcours éducatif personnalisé. C’est réellement enrichissant, mais aussi très prenant. Voilà pourquoi j’ai moins écrit ici, mon esprit étant occupé par d’autres problématiques. Mais je reviens aujourd’hui avec l’envie renouvelée de partager mon expérience et mes réflexions autour des apprentissages auto-gérés et surtout apporter des outils et des idées pour soutenir et accompagner les jeunes dans la voie d’une éducation choisie.
Mais rentrons un peu dans le vif du sujet : Peut-on parler d’auto-éducation ? En quoi consistent les apprentissages auto-gérés ? Je trouve qu’il est toujours difficile de nommer les styles d’apprentissage ou d’éducation, et pour clarifier les choses dès le départ le préfixe « auto » ne doit pas induire l’idée que cela se résume à laisser les enfants s’éduquer tous seuls. Maria Montessori elle-même parlait d’“auto-educazione”, et on sait combien sa méthode était structurée et soutenait l’enfant, tout en lui laissant une grande liberté. Je ne souhaite pas non plus utiliser le terme “unschooling” inventé par John Holt pour décrire ce que faisaient les premières familles qui refusaient de reproduire l’école chez elles et laissaient leurs enfants choisir quoi et comment apprendre. Je n’accroche pas trop car ce terme est construit en référence à l’école, puisqu’il dérive du mot “school”. Si on essaie de le traduire ça donne “sans l’école” ou donc apprendre sans aller à l’école ou sans faire l’école. Mais ça ne dit pas clairement ce que c’est ni en quoi ça consiste d’apprendre sans faire l’école. Je préfère le terme proposé par Ian Cunningham “Self-Managed Learning”, l’apprentissage auto-géré, car il ne fait pas référence à quelque chose de déjà existant et il est plus précis qu’auto-éducation, qui peut laisser croire que le processus se fait tout seul.
Les apprentissages auto-gérés permettent de redonner à l’élève, à l’enfant - qu’il soit scolarisé ou instruit en famille - un choix sur son éducation et un contrôle sur sa vie. Il a la liberté de choisir pour lui-même la manière dont il veut apprendre, ce qu’il veut apprendre, avec quelles ressources et jusqu’à quel point. Cette démarche permet aux enfants de construire leur vision de leur propre éducation. Ce qui donne bien entendu des programmes totalement différents pour chaque élève qui reflètent la richesse et la diversité humaine. Ainsi un enfant peut par exemple choisir de consacrer son temps à la création d’un jardin bio dynamique et pour mener son projet à bien il sera amené à faire des recherches en botanique, agronomie, gestion des sols, écologie, arboriculture pour comprendre l’arbre, les principes de la taille et appliquer la biodynamie au verger... Il pourra aussi approfondir la compréhension des plantes médicinales ou étudier l’apiculture pour connaitre le rôle des abeilles au jardin, ou encore l’astronomie pour étudier les grands rythmes cosmiques et suivre le calendrier lunaire et planétaire. Il peut étudier la géographie et l’histoire en explorant l’origine des fruits, légumes et épices que nous consommons.... Ou partir sur les traces des premiers jardiniers. Pour la construction du jardin et sa gestion l’élève devra aborder des mathématiques appliquées à son projet... bref, tous ces sujets abordés par le biais d’une passion ou d’un projet concret nous montrent qu’il est possible d’avoir une éducation complète à partir de n’importe quel intérêt. On peut tout apprendre à partir d’un sujet en créant des connexions : il faut tisser des liens, tendre des perches et dessiner sa propre carte.
Ainsi l’éducation auto-gérée n’est pas quelque chose que l’on fait à quelqu’un parce qu’on sait mieux que lui ce dont il a besoin, pour son bien et pour son avenir – car il n’est pas assez mature pour s’en rendre compte. L’éducation devient ce que l’élève, le jeune, choisi pour lui-même, pour se construire, parce qu’il a compris ce que ça peut lui apporter, parce que ça répond à un besoin actuel ou à des projets futurs. Avec ce type d’éducation l’enfant apprendre à prendre en main ses apprentissages, à leur donner du sens, à les choisir, les organiser, à définir des objectifs à plus ou moins long terme, et surtout à travailler pour lui-même, parce qu’il l’a décidé. Quand on a choisi de faire quelque chose, en général on souhaite le faire bien, aller au bout, et il est plus facile de rester enthousiaste et motivé (si les personnes qui accompagnent l’élève lui font confiance). Il se sent acteur et non le réceptacle d’un savoir qu’il n’a pas choisi de recevoir.
Cependant l’auto-éducation n’arrive pas comme par magie. Elle nécessite un environnement soutenant. Comme Maria Montessori l’avait bien compris et comme la nature humaine le démontre, l’auto-éducation fonctionne quand l’enfant baigne dans un environnement qui le porte, dans lequel il trouve autour de lui des idées, des ressources, un accès à la culture, un soutien et un regard bienveillant, exempt de jugement, et de l’aide quand c’est nécessaire.
Comme exemple le plus criant les pédagogues utilisent souvent l’apprentissage du langage. Un apprentissage très complexe que le petit enfant mène tout seul – dans le sens où il ne reçoit pas d’enseignement direct, pas de leçons, ni de programmes conçu par quelqu’un d’autre que lui. Il apprend comme il le souhaite et selon les lois de la nature humaine. Il arrive qu’il fasse des pauses pendant lesquelles on pourrait croire qu’il n’apprend plus rien, mais en réalité le travail est sous-terrain, puis tout à coup après une phase d’absorption invisible, son langage fait un bon en avant. L’enfant crée son propre programme, suit son propre rythme et le rôle des adultes qui l’entourent n’est pas d’enseigner, mais d’être présents, d’observer, d’encourager, de complimenter, et de servir d’exemples ; ils parlent à l’enfant, lui racontent des histoires... ils lui offrent le langage, lui présentent sa beauté par la littérature et son utilité par les conversations auxquelles il peut prendre part. Et ça marche ! Sans leçons, sans enseignement dans le sens classique du terme, et sans timing précis, tous les enfants apprennent leur langue maternelle et même deux langues ou plus dans le cas de familles multiculturelles. C’est un exemple basique, très utilisé, mais somme toute assez parlant quand on veut illustrer les apprentissage autonomes. L’étape suivante, pour les plus grands, est de passer des apprentissages autonomes tels que l’apprentissage de la parole, à des apprentissages auto-gérés, dirigés vers un objectif.
Je reviendrai en détail là-dessus dans d’autres articles, mais ce qu’il faut retenir est que l’apprentissage est un processus naturel, propre à chacun et tout à la fois universel. Nous en avons besoin pour évoluer et nous apprenons chaque jour de notre vie. Nous ne pouvons vivre sans apprendre. C’est ce qui nous guide dans notre compréhension du monde et de nous même, ce qui nous nourrit et nous permet d’évoluer. Il ne faut pas accepter de hiérarchie dans les apprentissages, il n’y a pas de raison que certains soient plus valorisés que d’autres, pas plus qu’il ne faut accepter qu’une seule manière d’apprendre soit valide.
Aujourd’hui, plus encore qu’à d’autres époques, les savoir est accessible facilement. Des ressources d’une grande qualité sont à la disposition de ceux qui veulent creuser ou découvrir un sujet. Les plus grandes universités proposent régulièrement des MOOC variés (libres et gratuits), de même qu’il est facile d’accéder à des masterclass proposées par des experts dans leur domaine. Il est aussi très facile d’avoir un accès aux livres et aux meilleurs écrits disponibles. Aujourd’hui il est relativement facile pour chacun de se construire un parcours éducatif de très haute qualité. C’est en ce sens que je préfère le terme d’apprentissages auto-gérés, car on ajoute l’idée que l’on prend en main son éducation en construisant un programme, en choisissant une direction. On pourrait dire qu’avec les apprentissages autonomes, on jette des graines dans un jardin en friche qui contient toutes les potentialités, et on voit ce qui veut bien pousser ; avec les apprentissages auto-gérés, l’apprenant décide consciemment de planter et prendre soin de telles et telles graines. Je pense qu’à un moment de sa trajectoire, un enfant en grandissant, à besoin de ce focus et de cette prise de recul sur ses apprentissages. Rendre sa trajectoire visible, consciente et dirigée (par lui-même) est extrêmement valorisant.
Évidement, avec les apprentissages autonomes ou auto-gérés, non dirigés par une entité extérieure, un enfant n’apprend pas en ligne droite, selon un programme établi, il dessine sa propre carte et suit son chemin unique. Cela nécessite de prendre du recul par rapport au système que l’on connait qui propose une manière d’aborder l’enseignement et de se libérer de nos craintes, principalement celles qui nous laissent croire que nos enfants ne vont pas réussir dans passer par certaines cases.