Réflexions sur l’adolescence
Mes filles écoutent du Lo-Fi, sont fans de K-pop et de J-pop, de mangas et font des cosplays; elles regardent des “animés” et des MV; “satisfaisant” est un mot qui revient souvent dans leur vocabulaire et elles m’expliquent ce que signifie ASMR. Vous suivez ? Pas plus que moi ? Je crois que ça s’appelle l’adolescence... un monde à part.
C’est fou comme chaque période avec nos enfants apporte son lot de changement. On croit avoir touché un équilibre, une certaine fluidité dans les relations, et pouf, tout à coup de nouveaux paramètres entrent en jeu et viennent titiller l’équilibre. C’est vrai à tous les âges : aux alentour de 9 mois quand le bébé devient capable de s’éloigner physiquement de la mère, quand le petit-enfant exprime son individualité vers ses deux ans, où à l’adolescence quand les changements physiques accompagnent la recherche d’autonomie. Ce ne sont en fin de compte que des appellations, qui ne définissent pas grand chose, mais qu’on les nomme ou pas, il y a bien des étapes distinctes par lesquelles nous passons pour grandir. On les appelle parfois des crises : la crise des 2 ans, la crise de l’adolescence... le mot crise, dans le langage, courant revêt une connotation négative, alors qu’une crise peut très bien résulter sur une situation meilleure ou positivement différente. Ces phases ne sont finalement que des étapes naturelles dans l’évolution d’une personne et elles vont s’exprimer de manière différentes selon les individus, l’éducation, la culture et la manière dont elles sont accueillies par l’entourage.
Je n’aime pas les étiquettes que l’on peut coller facilement aux gens quand on s’accroche à des idées reçues. Liv l’année dernière, année de ses 13, n’aimait pas que l’on dise qu’elle était une adolescente, car dans sa tête, elle associait cela à un âge bête; l’âge des jeunes bruyants et boutonneux, riant, criant, se bousculant, se déplaçant par grappes le portable à la main. Elle ne pouvait s’identifier à ce qu’elle voyait des adolescents autour d’elle. C’est vrai qu’il est facile de tomber dans les stéréotypes et les clichés quand on ne regarde pas les détails.
Quoi qu’il en soit l’adolescence, tout comme la période que l’on appelle en anglais le “Terrible two”, est un passage complexe où le jeune abandonne peu à peu l’enfant qui est en lui et en est recherche, en construction de l’adulte en devenir. Un peu comme entre deux et trois ans quand le petit enfant devient capable de dire « je » à propos de lui-même et que ça ait du sens. Une nouvelle identité éclos au terme d’une bataille interne qui s’exprime en s’affirmant en tant que personne qui peut choisir pour elle-même en disant non tout le temps. L’adolescence ressemble un peu à ce moment-là, c’est aussi la construction d’une nouvelle identité, mais cette fois, elle marque le passage à l’âge adulte, et surtout elle est accompagnée d’immenses bouleversements physiques assez soudain.
Au cours de cette année, j’ai vu la transformation de ma grande fille, elle qui disait ne pas vouloir être une ado en est bien une, mais à sa façon, comme toujours ! Et Émy n’est pas en reste non plus. Même sans aller à l’école, mes filles chopent les codes de leur génération. Que Blanquer se rassure, nos enfants non-scolarisés sont loin d’être en dehors de la société !
Émy est encore sur la tranche entre l’enfance et l’adolescence cependant. Elle est encore capable de jouer des heures de manière créative et autonome, guidée par son imaginaire, et elle entraine sa soeur avec elle (ça la sort un peu de ses dessins !).
Lundi j’ai montré une idée de bricolage à Émy, qui, mal disposée disait s’ennuyer : comment fabriquer un parachute tout simple, avec du tissu, des ficelles et un écrou. La mauvaise humeur d’Émy m’a répondu “–bof, j’ai la flemme” ou un truc comme ça. Je n’ai pas insisté mais j’ai laissé le livre ouvert à la dite-page. Une heure plus tard, une dizaine de parachutes tombaient du balcon sur la terrasse, certains planant parfaitement, d’autres s’écrasant maladroitement et Émy en haut, faisant des commentaires et notant les changements à apporter pour améliorer les récalcitrants. Elle a finalement passé l’après-midi, c’est à dire des heures, à tester différentes tailles de tissu et différents poids pour parfaire ses parachutes. Puis elle a immanquablement fini par sauter de la terrasse (pas du balcon, je vous rassure) avec un grand tissu attaché dans le dos ! Et le jeu s’est poursuivit le lendemain. Elle a donné des noms à ses parachutistes et a organisé une compétition internationale de parachutisme avec son amie, qui elle aussi s’est confectionné une équipe. Et hier encore, elles ont joué longtemps, améliorant les parachutes ainsi que les critères de sélection lors des compétitions.
Liv parvient encore à suivre les jeux de sa soeur, mais ça dure moins longtemps. Au bout d’un moment, elle retourne à ses affaires, c’est à dire le dessin, le journaling créatif, la lecture...
Liv a eu cette année de plus en plus besoin d’être seule dans sa chambre, la porte fermée sur son univers... C’est bien étrange pour moi qui n’aime pas du tout les portes fermées. Jamais je ne les ferme chez nous; celle qui va du couloir à notre espace de vie est toujours ouverte et il ne me viendrait pas à l’idée de la fermer, pas plus que la porte de notre chambre la nuit. Elle est juste poussée (de toute façon Noisette, notre chatte, entre et sort durant la nuit. Si la porte est fermée elle gratte derrière !). Cependant, je respecte et comprends le besoin de Liv. À son âge aussi j’avais envier de fermer la porte sur mon petit monde, sur mes sensations et mes idées emmêlées. Mes parents ont respecté ça aussi, mais peut-être un peu trop. Je pense que dans une certaine mesure, et sans forcer, il faut garder un contact avec nos ados, trouver comment faire naitre des discussions dans les moments où on se retrouve ensemble, créer de la complicité. J’admire les familles où la parole est facile et les discussions animées et riches. Mais je comprends aussi le besoin de Liv de fermer la porte pour se retrouver, s’écouter, mettre de l’ordre dans le fouillis de cette période. Pour ma part j’ai envie de trouver un bon équilibre entre les deux : le besoin d’être seule de ma fille, de faire fleurir et protéger son jardin personnel et ma certitude que des conversations ouvertes sur des sujets variés peuvent nous garder connectées et l’aider à passer cette étape délicate de l’adolescence. Je me suis tellement fermée durant l’adolescence que j’ai manqué cette chance de participer à des discussions et des échanges avec mes parents et j’ai mis de nombreuses années par la suite à me tourner à nouveau vers les autres.
Je pense aussi que pour garder un lien et ne pas laisser la porte se fermer complètement, nous devons faire un effort pour nous connecter aux intérêts de nos adolescents, qui sont parfois très loin des nôtres. Bon, je ne vais pas faire semblant d’aimer la K-pop et le cosplay, mais je peux en discuter avec mes filles, les encourager dans leurs créations et les aider quand c’est nécessaire. J’ai déjà aidé Liv à coudre une jupe plissée pour un uniforme, et un haori pour Émy. Il va falloir maintenant s’atteler à la veste de Liv... (vu ma passion pour la couture, ça ne va pas être facile). Je me suis un peu plus amusée à faire de la retouche photo bien kitch sous la direction d’Emy pour mettre en scène son personnage ;-)
Mais bon, l’idée est de rejoindre nos adolescents dans leur jardin en apportant de l’engrais, pour qu’ils se sentent soutenus et compris.
Au moment où j’écris, je suis seule avec Liv au chalet — Émy est partie avec une copine à la piscine, Benoit est à Lyon - et cela fait plus de deux heures que nous discutons sur la terrasse (et c’est hyper sympa de bavarder avec elle) des codes adolescents, de la mode... de la question du genre dans la langue française et des jeunes non-binaires ou “gender fluid”... du rejet ou de la peur de la différence... Elle ne comprend pas le besoin de conformité lié au style vestimentaire et déplore que ceux qui n’ont pas “le bon style” soient marginalisés ou ridiculisés. “Pourquoi une façon d’être serait-elle mieux qu’une autre ?” Questionne-telle... et malheureusement le rejet de la différence est souvent à l’origine du harcèlement chez les jeunes. Liv a son style, pour cela elle est unique et loin des codes en vogues et elle se demande comment ça serait si elle allait à l’école. Elle va plutôt à contre courant affirmant qu’elle ne veut pas être comme tout le monde, tout en étant à la fois attirée et influencée par la culture de sa génération. C’est une étape logique de l’affirmation identitaire, aller du groupe à soi, de soi au groupe... fermer la porte sur son univers en construction pour le protéger et finalement la rouvrir un petit peu.
Voilà, je voulais écrire sur l’adolescence parce que je suis en plein dedans et que ça fait toujours du bien d’écrire. Je n’ai pas de conseils, ni de trucs et astuces spectaculaires pour passer au mieux cette période, si ce n’est de l’apprécier pleinement et de prendre conscience des richesses qu’elle apporte. J’adore vivre avec mes ados, tout comme j’ai adoré vivre avec mes bébés, mes toddlers et mes tweens. On peut apprécier chaque étape du développement de nos enfants à leur juste valeur si on se met à leur niveau pour les comprendre et si nos relations sont toujours faites de respect et d’écoute. Même si le jeune oscille entre deux identités – celle liée à sa famille et celle liée à ses pairs – cela n’a pas forcément besoin de déboucher sur un conflit ou une dualité. On peut simplement vivre ensemble, se respecter et s’apprécier tel qu’on est.