Connaitre nos “Pourquoi?”

Chaque année, le mois d’août est une période propice à la remise en question de nos choix ; un peu comme le 1er janvier pour certains. Alors les filles, on continue ? La question doit être posée même si je connais la réponse. Oui ! Elles veulent poursuivre leur instruction libre. Toutefois, elles doivent savoir que la porte est ouverte si elles avaient envie ou besoin de découvrir autre chose.

Et bien sûr, dans l’équation, il y a moi aussi. Ai-je envie de continuer ? Car mine de rien, cette aventure repose en grande partie sur mon énergie et mon enthousiasme. Chaque année, je prends donc un moment pour me reconnecter avec les raisons pour lesquelles j’ai choisi ce chemin. L’instruction des filles ne doit pas devenir un poids ou une obligation que l’on continue parce qu’on est pris dans une dynamique, et qu’on ne prend pas le temps de revisiter nos « pourquoi ».

Cette année comme les précédentes, cette option est toujours alignée avec nos valeurs et nos choix de vie, et avec ce que nous voulons transmettre à nos filles; le plus important étant la liberté d’action et de pensée, la chance de ne pas devoir entrer dans un moule, de se conformer à des choix arbitraires et standardisés que d’autres font pour nous. Nous avons encore la chance de pouvoir choisir, alors ça vaut la peine de se poser la question : qu’est ce que je choisis ? Par ce choix, j’entends aussi montrer aux filles qu’on peut décider de la couleur à donner à notre vie. Je ne dis pas qu’il faut bannir l’école, mais au moins se poser la question de pourquoi on la choisi ou pas.
Pour la première fois dans l’histoire de l’école telle qu’on la connait en France, 100% des familles se sont retrouvées dans une situation d’instruction à domicile. Alors soyons clair, ce qu’elles ont vécu n’a rien à voir avec ce que nous vivons au quotidien, mais cette situation a eu le mérite d’ouvrir quelques portes et de mettre en évidence le fait qu’un choix existe – choix souvent méconnu, peu reconnu et peu valorisé dans notre pays. Peut-être que cette rentrée verra de nouvelles recrues dans l’aventure de l’instruction libre, qui sait ?

Bref, je voulais revenir sur les raisons de mon choix que je vois évoluer au fil des années : au départ cette décision était un peu égoïste, centrée sur nous, notre bien-être et celui de nos enfants, centrée sur notre noyaux familial. Je vois aujourd’hui cela comme un choix qui rayonne au-delà de notre cocon. André Stern parle d’une « écologie de l’enfance » et en effet l’instruction de nos filles est alignée avec nos autres valeurs et cela forme un tout : consommer mieux et moins, plus intelligemment, plus durable, pour respecter notre planète et éduquer et sensibiliser les jeunes pour qu’ils grandissent en conscience.
Aujourd’hui nous sommes plutôt des “lifeschoolers”, comme on dit en anglais; c’est à dire que les apprentissages sont mélangés, imbriqués, dans notre vie de tous les jours au point qu’il est devenu impossible de les dissocier. Nous vivons pour apprendre, nous apprenons pour évoluer dans la vie, quelque soit notre âge. Les séparations entre école, apprentissage et vie sont devenues floue au point de faire disparaitre les compartiments. Nous n’avons pas besoin de boites toutes faites qui cloisonnent notre horizon.

Mon choix d’aujourd’hui je le vois comme une façon de participer à l’évolution des mentalités dans le domaine de l’éducation, de semer ma graine, en espérant qu’elle tombe au bon endroit. C’est pour cela que j’écris.
Au yeux de l’état nous sommes des rebelles à surveiller et contrôler, des plantes sauvages. Mais je n’agis pas « contre », mais « pour » : pour une enfance libre et créative, libérée du joug des adultes qui décident de tout pour l’enfant (à quelle heure il se lève, comment il s’habille, ce qu’il doit apprendre, à quel âge, à quel moment précis de son évolution et pendant combien de temps…). Je veux défendre une enfance libre qui préserve la flamme allumée, la joie des apprentissages et la passion pour la découverte comme des précieux trésors. Je voudrais faire tomber la croyance que sans enseignement il n’y a pas d’apprentissage.
À chaque fois que je parle de notre expérience d’instruction libre à des personnes qui ne nous connaissent pas, la question “Comment tu fais pour qu’elles apprennent ?” revient toujours. L’école s’est imposée dans l’inconscient collectif comme étant nécessaire aux apprentissages par le biais d’un enseignement, et partant de ce postulat, elle est devenue obligatoire (sous-entendu, sans l’école, les enfants n’apprennent pas, c’est bien ça ?…). Et la preuve en est que même lorsqu’on choisi comme nous, l’instruction libre, on doit déclarer une instruction, donc un enseignement.
Ivan Illitch, auteur du livre “Une société sans école” nous rappelle que “les enfants sont par définition des apprentis et apprendre est l’activité humaine qui nécessite le moins de manipulation par autrui. La majeur partie de l’apprentissage n’est pas le résultat d’une instruction, mais plutôt le résultat d’une participation sans entrave dans un environnement chargé de sens”. En vivant auprès de mes filles chaque jour, je peux le constater, encore et encore. Elles apprennent et la plupart du temps, je ne peux pas dire comment ! Plus le temps passe, plus je lis, plus je m’informe, moins j’en fais avec elles. C’est complètement paradoxal, mais je découvre à quel point personne n’éduque autrui, pas plus d’ailleurs que nous nous éduquons tout seul. Nous nous éduquons ensemble et ce ensemble est un point fondamental et essentiel à la base de mon choix de nous instruire librement. Et je dis nous volontairement, car on n’arrête jamais d’apprendre ; je le fais chaque jour moi-même, poussée par ma curiosité, et avec mes filles entrainées par la leur.

Je n’ai pas la prétention de clamer que mon choix est le bon, l’exemple à suivre. D’ailleurs, je ne sais pas réellement où je vais, mais j’y vais soutenue par quelques certitudes. Comme le dit Edgar Morin “la connaissance est une navigation dans un océan d’incertitudes à travers des archipels de certitudes”. Comme c’est joli ! Je saute donc d’un archipel à l’autre, me forgeant en chemin une connaissance de plus en plus large, mais je ne vois pas de finalité, pas de port d’arrivée. J’ai juste une vision, c’est elle qui me souffle dans le dos, qui me permet de naviguer : c’est la volonté d’aider mes filles à grandir en restant fidèles à qui elles sont, à qui elles veulent devenir, dans la liberté de leurs idées et de leur créativité.

 
DSC_4288.jpg
 


J’ai donc choisi de passer 100% de mon temps avec mes enfants, et c’est encore un aspect qui est grandement questionné quand on parle d’instruction en famille. On me demande souvent comment je peux supporter de passer mes journées avec mes filles, chaque jour de la semaine, chaque mois de l’année, depuis tant de temps. Je tiens à préciser que je ne suis pas une personne hyper sociable qui recherche le contact à tout prix, qui aime l’agitation, le monde et le désordre que cela engendre… Non, j’aime plutôt le silence, la solitude et l’ordre. J’aime pouvoir penser et me poser, écrire et réfléchir, lire et boire un thé tranquillement. Pourtant j’ai choisi (ce n’est pas subit) de passer mon temps avec mes enfants et même de travailler avec elles, puisque je travaille à la maison.

Je pense que vivre avec ses enfants n’est pas plus compliqué que vivre avec un adulte (son mari ou sa femme) à partir du moment où on arrête de vouloir tout contrôler et les forcer à rentrer dans un moule ou à coller à une image. Les enfants sont des personnes capables d’agir pour elles-mêmes, de faire des choix, d’exprimer des idées et d’apprendre sans nous. Si nous nous délestons de cette lourde charge de domination et de contrôle, la vie est beaucoup plus simple avec nos enfants. Je vois des poils qui s’hérissent là ! Rassurez-vous, loin de moi l’idée de prôner le laxisme et de me décharger de toute responsabilité envers mes enfants. Oui, ils ont besoin de nous, c’est le propre de l’enfance, mais ils n’ont pas besoin de tuteurs rigides, ils ont surtout besoin d’un environnement chargé de sens comme le dit Ivan Illitch. J’ai deux articles de blog consacrés à cet environnement, l’ambiance, comme j’aime l’appeler, ou l’atmosphère que l’on respire tous les jours au sein du foyer et au dehors; le premier est ici et la suite est là, si cela vous intéresse de les lire (ou de les relire). En effet, la question qui me préoccupe le plus à l’approche du mois de septembre et de la déclaration d’instruction en famille que nous sommes tenus de faire, est celle de l’environnement : comment préparer pour mes filles l’environnement adéquat pour que la graine pousse seule, en suivant sa nature et en développant son potentiel intrinsèque ? Quels changements apporter, quoi garder, quoi jeter ? Je l’ai dit, plus nous avançons dans notre expérience d’instruction libre moins je vois de séparation avec notre vie. Il est donc difficile et inutile de parler de « rentrée », de reprise. Cela n’a aucun sens pour nous. Cependant, septembre revêt un habit un peu spécial, car après un été d’allers et venues, d’une vie sans horaires ni planning précis, nous revenons à une routine mieux définie qui soutient les apprentissages et permet à chacun de trouver sa place : j’ai besoin de temps pour travailler, les filles ont besoin de temps avec moi et de temps toutes seules, elles ont également des activités à l’extérieur à caser dans la semaine. Bref, on s’organise un peu, on fait des projets, on essaie d’imaginer à quoi pourrait ressembler l’année à venir… mais cela reste un mystère !


Merci de me lire ♥️
Eve