IEF, questionnements et réflexion
Depuis nos débuts en IEF, vous êtes nombreux à me questionner par mail. Avons-nous un planning ? Suivons-nous un programme ? Est-ce totalement libre ? En gros, quel “style” d’école à la maison faisons-nous ?
Je vais tenter d’y répondre, mais étant donné que nous sommes dans notre première année, tout est encore assez nouveau pour nous. J’ai des convictions et des idées sur la manière dont j’aimerais que l’instruction se passe, mais nous tâtonnons encore, nous cherchons... et nous essayons des choses que nous abandonnons par la suite car elles ne nous correspondent finalement pas. Je pense que les premières années d’IEF se passent ainsi. Avec parfois la sensation de bien avancer pour reculer ensuite. Au fil des années nous serons plus assurés, et nous aurons un "style" plus affirmé, mieux défini et mieux choisi.
Quand les filles n’ont pas pris le chemin de l’école le jour de notre première non-rentrée, nous avons trouvé cette situation à la fois étrange et merveilleuse. Étrange car nous avions pour la première fois l’impression d’aller vraiment à contresens, et merveilleuse car nous poursuivions naturellement notre été et notre douce vie à quatre. La course de septembre a glissé sur nous, comme les gouttes d’eau sur le plumage imperméable d’un canard.
Heureusement, le sentiment d’étrangeté de la situation a disparu très vite ! Et nous avons profité pleinement de nos journées sans horaires imposés. C’est finalement une sensation de libération qui a pris le dessus ; le soulagement d’avoir une contrainte de moins. Et pour répondre aux inquiétudes de certains, je ne pense pas que vivre sans horaires imposés puisse poser un problème à mes filles pour leur avenir. De plus, même si on choisi de vivre sans les horaires imposés par l’école, il y en a quand même d'autres : quand on a rendez-vous quelque part avec des amis, nous n’aimons pas être en retard, c’est une question de respect ; quand on participe à une activité programmée (la danse par exemple) il faut être à l’heure ; quand on va prendre le train pour partir en voyage, le train n’attend pas... Les horaires sont suffisamment présents dans la vie quotidienne sans avoir besoin d’en rajouter qui ne sont pas obligatoires. C’est pour cela que nos journées n’ont pas d’horaires imposés en dehors des activités programmées ou des rencontres de groupe.
Nous ne suivons pas non plus de programme spécifique. Je crois que plus le temps passe plus nous nous rapprochons de l’instruction libre. Je suis persuadée que les meilleurs apprentissages sont ceux qui se font de manière naturelle et qui se produisent tout le temps. L’avantage est que cela ne nécessite pas de programme ni de contraintes. L’inconvénient est qu’il faut parvenir à se débarrasser de nombreuses idées préconçues qui nous collent à la peau !! Mais il est évidement que pour les enfants c’est plus amusant, intéressant et porteur de sens que d’apprendre ainsi. Les filles passent beaucoup de temps à faire des choses qu’elles aiment et sont libres de jouer. De ce fait, beaucoup de leurs apprentissages sont fortuits. Évidement, cela demande une immense confiance dans le potentiel de l’enfant et sa volonté d’apprendre. Certains jours c’est plus durs que d’autres, et par période, cette confiance s’effrite et j’ai tendance à plus proposer des activités orientées vers des apprentissages spécifiques. Mais quand j’arrive à simplement suivre et nourrir les intérêts des filles, nos journées sont fantastiquement riches, et elles apprennent tout autant. Pas forcément les choses standards prévues par les programmes, mais des choses qu’elles aiment et qui les intéressent. Et c’est ce qu’elles retiendront en premier ; ce qui les fait vibrer, ce qui les pousse vers la découverte et la connaissance. C’est magnifique quand il est évident que les apprentissages se produisent tous seuls. Les jours où c’est moins apparent, le doute s’installe et je me demande si je suis sur la bonne voie. Pour me rassurer, je dis pour moi-même : “Quoi que je fasse, je sais bien, au fond de moi, que mes filles ne deviendront pas des incapables, ne sachant rien faire, ni se débrouiller dans la vie.” Ça, c’est une conviction inébranlable. Elles sont intelligentes, elles sont capables, elles aiment apprendre, elles aiment faire. Cela ne va pas changer. Mais j’aimerais être sûre de leur fournir le bon environnement pour faire éclore et fleurir toutes leurs potentialités.
J’espère réussir à mettre en place, dans les années à venir, le type d’apprentissage libre auquel j’aspire. Que cela devienne naturel pour nous et que j’aie moins de doutes. J’aimerais que ça soit un peu moins “brouillon” aussi. Mais je suis confiante, les choses vont se mettre en place petit à petit et la seconde année commencera riche de notre première expérience. Et ainsi de suite, au fil du temps notre expérience et notre assurance grandiront.
Ce qui est magnifique et bénéfique avec l’IEF est que les filles n’ont pas besoin de rentrer dans un moule préparé par autrui. C’est une réelle chance de ne pas voir leur personnalité altérée par cette nécessité de suivre le groupe et les consignes, les horaires et les contraintes. Car même si le contenu de l’école est intéressant, l’enveloppe, le cadre, le moule... tout ceci est trop puissant et s’impose sur la personnalité fragile et en développement de l’enfant. À l’école ce sont les adultes qui font les règles, ils décident de ce qu’il se passe et quand. Chez nous aussi, il y a des règles bien sûr. Mais à l’intérieur de ces règles, garantes de la stabilité de leur environnement, les filles ont beaucoup de liberté. Cette liberté dans un cadre aide l’enfant à développer sa volonté. Car il doit choisir ce qu’il souhaite faire, comment il souhaite le faire, où s’installer... il peut y passer le temps qu’il souhaite, 1 heure ou 3 jours, peu importe ! Peu importe aussi qu’il décide d’étudier le système solaire ou les différents points de couture, si c’est ce qui le motive, il apprendra ! Et il aura le sentiment d’avoir pu aller là où il avait besoin d’aller. Maria Montessori disait que l’enfant doit vouloir ce qu’il fait et non simplement faire ce qu’il veut. Là est toute la nuance. En évoluant avec de la liberté dans un cadre stable et des règles de conduite, l’enfant développe progressivement sa volonté de l’intérieur, et apprend à vouloir ce qu’il fait. S’il ne fait que ce qu’il veut, il se laisse guider par ses pulsions.
Il ne faut pas oublier que l’instruction est obligatoire, l’école ne l’est pas. Pourtant la plupart des gens croient le contraire. La loi place l’éducation des enfants sous la responsabilité des parents. C’est à eux de décider s’ils prennent cette responsabilité ou s’ils envoient leurs enfants à l’école. C’est que l’idée de l’école nous colle à la peau, c’est un élément structurant de la société ; une base de son fonctionnement. Mais cela pourrait bien changer dans les années à venir.
Notre vie sans l’école est riche et remplie ! Un peu trop parfois. Nous ressentons de temps à autre le besoin de ralentir. De voir moins de monde, de participer à moins d’activités pour rester chez nous et pousser un peu plus nos recherches, prendre le temps de lire les livres qui sont en attente, préparer et réaliser les expériences souhaitées... et parfois même ne rien faire, traîner et profiter simplement du temps qui nous est offert. Et puis nous avons l’avantage d’avoir les musées vides, les plages tranquilles, les vacances moins chères... Une grande partie de la journée, nous ne voyons pas d’enfants que ça soit dans les musées, sur les pistes de ski ou dans le parc. Il y a pour un temps, une société qui fonctionne sans les enfants. C’est plutôt étrange. Et si au début j’ai beaucoup apprécié et j’apprécie toujours que nous soyons presque seules au parc, j’ai de plus en plus la sensation qu’il y a quelque chose qui cloche dans la société. Mais c’est une tout autre réflexion qui n’est pas le sujet de ce billet...
Je pense que quel que soit le style d’instruction choisi, la question la plus importante à se poser est : Mon enfant est-il heureux ? Est-ce qu’il aime ce qu’il fait ? Si la réponse est oui, alors oui il est en train d’apprendre !
Voici un but à long terme que je poursuis pour les filles. Ainsi elles pourront être heureuses quoi qu’elles choisissent de faire !
Quand je vois les filles libres, dans la nature, cela me renvoie à mon enfance. Bizarrement c’est seulement maintenant, alors que je me questionne à propos de l’éducation de mes filles, que mon enfance refait surface. Pas de manière claire avec des souvenirs précis, mais plutôt comme une aura bienveillante qui m’accompagne. De mon enfance, je garde surtout quelques images, comme des flash, et une nébuleuse de souvenirs entremêlés, du bonheur et de la lumière...
J’ai grandi en un lieu hors du temps, incroyablement paisible, entourée de nature et de vie, libre et sauvage. Mes parents, courageux du “retour à la terre” se sont installés avec ma grande sœur de 1 an, dans un moulin en ruines au bord d’une petite rivière, au milieu de la nature. Sans électricité, sans eau courante et presque sans toit et sans argent. Mais ils étaient heureux car ils réalisaient leur rêve. Avec leurs poules, leurs chèvres, leur jardin, ils se sentaient riches ; ils ne pouvaient manquer de rien. Enfant, je n’ai jamais eu le sentiment de manquer, je n’ai jamais pensé que nous étions pauvres et que nous avions moins que les autres. Du point de vue de l’argent, nous étions pauvres, oui. Mais ne dit-on pas que l’argent ne fait pas le bonheur ? Nous étions heureux et riches de toutes les richesses qu’offre la nature.
Quarante ans plus tard, le moulin est toujours là ; la rivière, le jardin, les chèvres et les poules, mes parents aussi, toujours aussi sûrs d’avoir fait le bon choix. Je les admire pour cela, d’avoir réussi à faire le bon choix, en accord avec leurs idées. Car dans leur cas c’était faire le choix aussi de tout quitter ; leur vie en Suisse, leur travail, leur maison, leur famille et leurs amis. Partir et ne pas revenir.
Leur courage et leur détermination, aussi bien que cette enfance sans stress ni contraintes m’ont fait telle que je suis. Aujourd’hui j’en ai conscience et je garde en moi ce précieux bagage, comme une petite lumière qui m’accompagne partout.
Que vais-je donner, moi, à mes filles ? Quel précieux trésor vont-elles garder en elles pour les guider dans la vie, pour leur apporter lumière et bonheur ?
Quand Liv, mon premier bébé, était dans mon ventre, que je sentais sa vie et son énergie, des certitudes sont nées : je ne voulais pas l’éduquer à la mode traditionnelle française. Je voulais que ma fille puisse s’épanouir comme j’avais pu le faire enfant. Mais comment ? Non pas en quittant Paris pour aller nous installer dans une ferme en ruine. Je n’avais pas envie de reproduire l’histoire des mes parents. Chacun la sienne. Je préfère voir la vie comme un continuum. Ce que mes parents ont semé en moi, qui m’a permis de grandir et de devenir qui je suis, dans le respect de ma personne et de mes choix, je vais le passer à mes enfants en y ajoutant ma part. Je ne veux pas reproduire, je veux y ajouter ma part et leur transmettre cette nouvelle lumière que j’ai chéri et transformée pour elles.
Mais comment est-elle née cette lumière, cette graine, cette chose qui me porte et m’accompagne ?
On pourrait l’appeler confiance, chance, assurance, bonne étoile, peu importe, elle est là. Les souvenirs de mon enfance sont flous et mélangés, mais ils sont là et je dois creuser un peu pour les faire éclore. Mais petit à petit ils refont surface.
Je cours, mes pieds sont nus. Mes cheveux frisés et ébouriffés s’accrochent dans les branches et parfois dans les ronces. Mais je ne m’en occupe pas. Je continue ma course car il n’y a que ça qui compte à ce moment-là. Courir libre, pieds nus dans la nature. Parfois c’est derrière les chèvres que je coure, avec un bâton pour les faire avancer et je crie “tia tia !!”. Je dégringole les talus à leur suite, je bondis de rochers en rochers imitant leurs cabris, je saute sur les pierres de la rivière pour la traverser comme si c’était la chose la plus simple et la plus naturelle du monde. Je suis dans ma nature. Je suis dans le monde. Je suis heureuse. Mais évidement, je n’en ai aucune conscience à ce moment-là. Je n’ai que 4 ans.
J’ai décidé de faire le point sur notre IEF à la fin du mois de juin, avant les grandes vacances, afin de définir ce qui sera à améliorer l’année suivante. Je sais déjà qu’il y a des choses à changer et la plus importante sera de mieux définir le cadre pour offrir aux filles plus de liberté et d’autonomie dans les apprentissages. Quand je relis Maria Montessori, ce qui m’apparaît le plus important est ce cadre, cette ambiance, créée pour l’enfant. Plus que tout le matériel qu’il va y trouver, l’ambiance joue un rôle primordial.
ps : J’ai d’ailleurs à nouveau écrit un petit article en anglais pour Wild + Free.
Il s’intitule “Cherish the ambience”.
Pour s’abonner c’est ici : http://www.bewildandfree.org