Et la socialisation ?

      Comme souvent, nous sommes au parc un jour de semaine. Il n'y a personne, à part quelques coureurs qui empruntent les petites allées. Et une fois passée la grille du jardin botanique c'est encore plus calme. C'est agréable. Nous nous promenons parmi les fleurs, nombreuses, colorées, odorantes. Les dahlias commencent à se faner. Au détour d'une allée nous découvrons des dahlias coupés au sol ! Nous suivons leur trace qui nous mène auprès d'un jardinier occuper à les tailler. Immédiatement les filles courent vers lui pour lui demander si elles peuvent ramasser les fleurs. Tout content de leur faire plaisir, il leur dit oui avec un large sourire, puis leur explique qu'il les enlève car elles sont en train de se faner et que rapidement ça ne sera pas joli dans le jardin. Et que cela permet d'aider la plante à refaire de nouvelles fleurs. Il leur parle de son métier : jardinier. Il aime les fleurs et aime les entretenir et les voir fleurir. Il nous fait découvrir toutes les variétés de dahlias si différentes. Plus tard, il les questionne sur l'école, pourquoi sont-elles au parc ? Les filles ne savent encore pas trop quoi répondre, c'est aussi nouveau pour elles, alors j'explique que nous avons choisi l'instruction en famille, qu'elles ne vont pas à l'école. Cela part d'un bon sentiment, j'en suis sûre, mais il demande alors : Et est-ce qu'elles ont des amis ? Elles ne sont pas trop seules ? De quoi faire douter une maman aussi convaincue que moi ;-) Mais les filles ne se soucient guère de ce petit bout de conversation et rentrent à la maison les bras chargés de dahlias et enrichies par cette rencontre due au hasard. Nous sommes début septembre. Nous venons de commencer l'instruction en famille...
Et avec l'instruction en famille, la fameuse question de la socialisation pointe son nez ! Et oui LA grande question qui revient souvent : Elles ne vont pas à l'école ? Mais et les amis, et la socialisation ? Comment faites-vous ?

      Quand un enfant rejoint l'école, il rejoint aussi un groupe, une communauté, à laquelle il peut s'identifier. La famille s'en trouve élargie et enrichie, car elle rencontre ainsi d'autres familles vivant dans son périmètre. Cela peut créer un sentiment d'appartenance à une communauté et du lien social. Et même si à mon goût l'école n'est pas le meilleur lieu de socialisation, elle offre aux enfants la possibilité d’interagir avec d'autres, de jouer, de faire du sport, de discuter avec les professeurs et d'autres adultes...

      Quand il s'agit d'instruction en famille, cette communauté n'existe pas automatiquement. En tout cas pas tout de suite. Il faut la chercher, la construire et l'entretenir. Mais je vois le fait de devoir y prêter une attention toute particulière comme une chance et un atout. La question de la socialisation de nos enfants n'est pas remise à l'école, elle nous appartient et devient alors choisie et réfléchie.

      Quand nous avons commencé l'instruction en famille, nous savions que la fameuse question de la socialisation allait nous tomber dessus un jour où l'autre car c'est un point important lors de l'inspection annuelle. Bien évidement, nous avions à l'esprit qu'il serait important et nécessaire pour les filles d'avoir suffisamment d'opportunités d’interagir avec des enfants et des adultes, dans différentes situations, afin de développer différentes compétences sociales. Cela peut paraître étrange de devoir penser à cela, car en réalité il s'agit simplement de vivre dans la vraie vie, de sortir de chez soi et voir du monde. Ce que toute famille fait certainement de manière très naturelle, sans même y penser.
      Alors pourquoi cela changerait-il dès lors que nous choisissons l'instruction en famille ? Bien au contraire, sans l'école, nous avons encore plus de temps pour diverses situations et rencontres au sein et en dehors de la famille ! Mais il est vrai, je dois dire, qu'il peut être assez facile de laisser filer le temps et de ne voir personne pendant une semaine (à part la boulangère, le facteur, le boucher, le voisin de palier, la bibliothécaire...).
      Tous les parents sont responsables pour leurs enfants de créer un réseau et de l'entretenir, mais le grand plus avec l'IEF est la question du choix et de la liberté. Nos enfants ne sont pas obligé de passer 6h par jour avec un groupe d'enfants sélectionnés selon leur âge et leur lieu de résidence.
     Nous n'en sommes qu'à notre première année d’instruction en famille, mais déjà je vois les bénéfices de cette socialisation douce et choisie. Notre réseau se construit et s'enrichit au fil du temps et petit à petit les filles créent des amitiés fortes. L'école n'est vraiment pas une nécessité pour cela. Je ne vois même pas pourquoi c'est un point que nous devons défendre. Est-ce que réellement sans l'école les gens ne deviendraient pas sociables et ne sauraient pas se comporter en société ? Ne sont-ce pas des choses que l'on apprend en premier lieu en vivant au sein de sa famille, cette micro-société, puis de sa famille élargie, puis de ses amis ?
      Nous avons rapidement rencontré des familles pratiquant l'instruction en famille et grâce à un réseau non-sco assez actif, les filles ont de nombreuses occasions de participer à des activités de groupe. Et toutes les petites graines que nous plantons cette année vont pouvoir grandir et fleurir, offrant aux filles la possibilité d'entretenir des relations approfondies, de développer leur comportement social en partageant des idées, des activités, en écoutant les autres, en apprenant à argumenter, à coopérer...

      Ce que j'aime avec l'instruction en famille est le temps dont nous disposons pour des contacts sociaux très variés. Les filles sont dehors à des moments où l'on ne voit pas d'autres enfants (ou très peu). Les adultes sont curieux de savoir pourquoi elles ne sont pas en classe. Ainsi la conversation s'engage facilement, d'autant plus que les filles discutent aisément. C'est un moyen magnifique d'apprendre des choses et de faire des expériences. Quand ils sont avec nous, les enfants peuvent rencontrer des gens intéressants en toute sécurité. Ils ont ainsi un aperçu du monde réel, dans des situations variées. Et les occasions ne manquent pas si on sait les saisir.

      À noël, nous avons visité un marché, un jour de semaine, le matin. Il était vide, tout comme le parc. Les filles ont été attirées par un stand de perles et bijoux en verre coloré, tenu par un jeune couple de créateurs venant d'Ardèche. Ils étaient en train de façonner des perles en chauffant de fines tiges de verre de Murano. Les filles se sont plantées devant, ne pouvant plus quitter des yeux leurs gestes précis, maîtrisés et créatifs, pour confectionner ces bijoux délicats. Nous avons entamé une discussion et ces deux personnes très agréables nous ont expliqué leur métier. Nous avons pu voir la réalisation de plusieurs perles du début à la fin. C'était très captivant pour les filles qui ne voulaient plus partir. Il faisait très froid, j'avais les pieds glacés de rester sans bouger, mais je ne pouvais pas les arracher à leur émerveillement !

     Plus récemment, nous avons fait une autre rencontre, qui sera très probablement durable. Liv a commencé à s'intéresser aux pierres suite à une exposition au musée d'Histoire Naturelle de Londres, et elle souhaitait s'en acheter avec son argent de poche. J'ai recherché un magasin proche de chez nous et nous y sommes allées, sans trop savoir sur quoi nous allions tomber (beaucoup de magasins de pierres sont surtout axés sur la santé et un peu trop ésotériques à mon goût). Nous avons trouvé une toute petite boutique remplie de belles pierres, tenues par une petite dame qui pourrait être l'arrière-grand-mère des filles. Une dame très gentille qui nous a accueilli avec sympathie et curiosité, étonnée de voir Liv si intéressée par les pierres.
     Elle a un très grand savoir et nous a vivement encouragées à revenir la voir pour discuter ou lui montrer des spécimens à identifier. "Même sans rien acheter, vous pouvez venir me voir, juste pour regarder" nous a-t-elle dit. Ce que nous avons fait, et referons, car on apprend beaucoup au contact de personnes qui ont une passion et souhaitent la partager.

     Alors non, les enfants instruits en famille ne vivent pas en vase clos. Au contraire ! Tous les lieux de vie de l'enfant sont importants pour sa socialisation et cela ne devrait pas être considéré comme du domaine de l'école, qui elle, sert l'instruction. L'école n'est qu'un lieu parmi d'autres que l'enfant peut ou non fréquenter. Pourtant la question de la socialisation est importante pour les services sociaux et les inspecteurs qui nous rendent visite. Comme si seule l'école avait la capacité d'apprendre la socialisation aux enfants ! Comme si la socialisation ne pouvait se faire qu'en dehors de la famille. Mais la famille est bien le premier pont pour l'enfant vers le monde extérieur. Et avec le soutient de sa famille, l'enfant se sent en confiance et en sécurité pour se socialiser, sans forces ni contraintes.

     Je me souviens d'un compte-rendu trimestriel fait par la maîtresse d'Émy lors de son année de moyenne section (livret d'évaluation ou quelque chose comme cela). À la fin, une phrase m'avait marquée. Cela disait en gros qu'Émy était très éveillée, intéressée, mais qu'elle n'arrivait pas à prendre la parole en classe. Mais elle n'avait que 4 ans !! Elle se retrouvait dans une classe de 25 enfants ! Combien d'adultes sont capables de prendre aisément la parole devant un groupe de 25 personnes ? Ou même s'ils en sont capables, ont-ils envie de le faire ? N'est-ce pas trop demandé à un enfant de 4 ans de devoir s'exprimer dans un groupe de 25 ? Il ne faut pas confondre socialisation et collectivité. L'école, oui apporte la collectivité, au détriment de l'individu parfois. Je pense que la socialisation n'a rien à voir avec l'école, et qu'on se trompe en cherchant à attaquer l’instruction en famille par défaut de socialisation. Comme le dit André Stern dans sa conférence L'écologie de l'éducation, à 3 ans nous retirons les enfants du flot de la vie pour les mettre à l'école pendant des années, et dans quel but ? Celui de les préparer à la vie !

     Pour ma part je suis allée à l'école. Mais seulement à partir de 6 ans. Avant cela j'étais une libre et sauvage ! Mais je ne pense pas que l'école ait servir à ma socialisation. J'ai eu beaucoup de mal à m'intégrer à un groupe durant toute ma scolarité. Et c'est cette image de moi que l'école m'a renvoyé pendant toutes ces années. Le sentiment de ne pas être comme les autres et de ne pas pouvoir faire partie de leur groupe. Mais en même temps, je n'en avais pas vraiment envie. J'avais mes copines (2 ou 3 pas plus) avec lesquelles j'étais tout le temps et partageais tout. J'ai fuit la collectivité et cherché des relations plus saines et plus profondes qui m'ont permis de supporter l'école. En dehors des moments passé avec ces amies j'ai peu de souvenirs des mes années d'école. Me restent les bons moments où l'on se retrouvait pour bavarder ou pour poursuivre nos jeux de rôles. On se construisait des personnages avec des caractères précis, évoluant au fil du temps dans des histoires complexes. Nous jouions des situations réelles, où entraient en jeu nos compétences sociales, dans la sécurité et l'intimité de notre petit "groupe".
Longtemps cette image de moi, mal à l'aise en groupe, m'a collée à la peau. Il a fallu que je rencontre "mes pairs" pendant mes études de graphisme, pour que je me détende et me sente enfin bien dans un groupe plus grand que 3 ou 4 personnes. Et aujourd'hui encore, même si je peux tout à faire prendre la parole au milieu de 25 personnes, je préfère de loin évoluer dans un groupe restreint.

     "La socialisation est le processus au cours duquel un individu apprend et intériorise les normes et les valeurs tout au long de sa vie, dans la société à laquelle il appartient, et construit son identité sociale." J'aime bien cette définition donnée par Wikidédia, car elle apporte l'idée que la socialisation se construit tout au long de la vie. Je suis tout à fait d'accord avec cela, et c'est bien ce que je vis. À chaque âge les choses évoluent et changent. Nous avons la chance de pouvoir apprendre jusqu'à la fin de notre vie, même en matière de socialisation, et c'est la diversité des expériences qui va nous construire et nous enrichir.

 

PS : Il y a peu de photos des filles avec leurs amis sur ce blog, pour deux raisons : d'une part lorsque nous sommes en groupe, je suis moins disponible pour prendre des photos (car je suis dans l'interaction) et d'autre part je ne souhaite pas publier des photos des enfants des autres. Cela gène certains parents qui ne veulent pas que leurs enfants apparaissent sur internet. Alors pour faire simple je préfère m'abstenir.